Dans les plis pittoresques de la Vallée du Lot et du bassin de Decazeville, ainsi que sous le soleil radieux de Nice, deux régions éloignées par la géographie mais unies par la passion gastronomique, partagent un trésor culinaire commun : le stockfish.
Aussi connu sous les noms d'Estofinade, Estofi ou Estocafic, ce mets délicieux a traversé des générations, portant avec lui une histoire riche et captivante que je vais vous raconter dans cette onzième Chronique de la Semaine.
Les origines du stockfish
Le stockfish, poisson séché originaire des lointaines mers norvégiennes, a entrepris un voyage extraordinaire, des étendues glacées du cercle polaire aux paisibles rives du Lot. Comment ce mets délicat a-t-il trouvé sa place dans la Haute Vallée du Lot pour devenir une tradition culinaire séculaire ?
Les légendes abondent, évoquant son introduction au Moyen Âge par des pèlerins de Saint-Jacques ou des marchands nordiques cherchant la laine des Causses. Cependant, le Lot, voie navigable depuis le Moyen Âge, a joué un rôle clé. Les bateliers du Rouergue descendaient la rivière jusqu'à Bordeaux, exportant fromage, merrains, charbon et blé, puis remontaient avec sel, épices et le précieux stockfish. Le succès de ce plat a été solidifié par le développement du bassin minier decazevillois, devenant une délectation prisée des familles de mineurs.
Comment était-il préparé à l’époque ?
La recette parfaite d'une Estofinade réside dans l'utilisation du stockfish des îles Lofoten, un cabillaud pêché en hiver lors de sa migration vers la Norvège pour la reproduction. Ce poisson, séché sur des claies à l'air libre par le soleil et le froid polaire, acquiert une saveur singulière. Son séchage original le rend plus riche en calories, protéines, phosphore et calcium que la morue classique, qu'elle soit salée ou fraîche.
La tradition veut qu'avant d'être cuisiné, le stockfish soit trempé une semaine à l'eau vive. Cette pratique, transmise par la tradition orale, rappelle les bateliers remontant le Lot, accrochant le stockfish à leur gabarre pour garantir sa tendreté dans les ports rouergats.
Une fois assoupli, le stockfish est méticuleusement cuisiné avec des pommes de terre, des œufs frais, de l'huile bouillante, de l'ail, du persil, et selon le savoir-faire du cuisinier, des œufs durs, de la crème fraîche, de l'huile de noix ou de la graisse de canard. Chaque chef détient sa propre recette et son secret, faisant de l'estofi une tradition culinaire aux multiples visages.
Comment est-il arrivé à Nice ?
Sur les côtes méditerranéennes, à Nice, le stockfish s'est également inscrit dans les traditions culinaires locales sous le nom d'estocafic ou estocaficada. Originaire de Scandinavie, sa consommation en Europe chrétienne remonte au XIIe siècle. Les Niçois, habitués à cette délicatesse, ont probablement découvert le stockfish lorsque les navires marchands, en provenance des Flandres et se dirigeant vers l'Italie, faisaient escale à Nice et Villefranche-sur-Mer.
À la niçoise, qu’est-ce que ça donne ?
La préparation du stockfish niçois commence par le trempage des filets pendant plusieurs jours dans l'eau courante, une pratique remontant aux temps où les lavoirs et les torrents étaient les lieux de réhydratation privilégiés. Ensuite, les morceaux de poisson sont cuisinés comme un ragoût avec des pommes de terre, des poivrons, de l'huile d'olive, des olives, de l'ail, de l'oignon et un bouquet garni.
C'est au restaurant l'Acchiardo que vous pourrez notamment déguster un délicieux stockfish préparé avec soin par Virginie Acchiardo et toute son équipe au 38 Rue Droite 06300 Nice (cf photos).
Anecdotes et histoires du stockfish dans sa région d’origine
Dans la Vallée du Lot, l'estofinade était jadis le plat du Carême et du vendredi, abordable et apprécié des mineurs du bassin d'Aubin-Decazeville. Il était également une gourmandise festive, dégustée de la fin des vendanges à Pâques. Aujourd'hui, le stockfish est devenu rare et précieux, les restaurateurs prenant la relève des cuisinières d'antan. Bien que l'estofinade ne soit plus aussi couramment préparée à la maison, la tradition persiste de savourer ce plat au moins une fois par an lors de réunions familiales chaleureuses. Entre 10 et 12 tonnes de stockfish sont dégustées chaque année dans la région de Figeac, Decazeville et Villefranche, faisant de l'estofinade autrefois humble le joyau de la gastronomie aveyronnaise.
Conclusion
Que ce soit au cœur des terres aveyronnaises ou sous le soleil méditerranéen, le stockfish a transcendé les frontières pour devenir un symbole culinaire, tissant des liens entre les traditions et les générations. De son voyage insolite du cercle polaire aux rives du Lot à son adoption par les Niçois, le stockfish est bien plus qu'un simple ingrédient, c'est un héritage gastronomique partagé, démontrant comment la cuisine peut créer des ponts entre les cultures et l'histoire.
À nouveau, merci de m’avoir suivi dans cette histoire peu commune d’un plat peu commun !
Je vous donne rendez-vous la semaine prochaine, comme d’habitude, pour une nouvelle Chronique de la Semaine